AU NOM DU PEUPLE GABONAIS ;
LA COUR CONSTITUTIONNELLE ;
Vu la requête enregistrée au Greffe de la Cour le 21 juillet 2022, sous le n°031/GCC, par laquelle Monsieur Geoffroy FOUMBOULA LIBEKA MAKOSSO, demeurant à Libreville, téléphone n°077193139 et Madame Justine Judith LEKOGO, demeurant à Libreville, téléphone n°074350916, ont saisi la Cour Constitutionnelle aux fins de voir celle-ci déclarer inconstitutionnel le décret n°0158/PR/MSAS du 30 juin 2022 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du Centre des Opérations d'Urgence de Santé Publique, en abrégé COUSP et annuler purement et simplement ledit décret en raison des vices de forme dont il serait entaché ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la loi organique n°9/91 du 26 septembre 1991 sur la Cour Constitutionnelle, modifiée par la loi organique n°027/2021 du 31 janvier 2022;
Vu le règlement de procédure de la Cour Constitutionnelle n°035/CC/06 du 10 novembre 2006, modifié par le règlement de procédure de la Cour Constitutionnelle n°047/CC/2018 du 20 juillet 2018 ;
Vu la loi n°20/2005 du 03 janvier 2006 fixant les règles de création, d'organisation et de gestion des services de l’Etat ;
Vu la loi n°003/2020 du 11 mai 2020 fixant les mesures de prévention, de lutte et de riposte contre les catastrophes sanitaires ;
Vu l'ordonnance n°1/95 du 14 janvier 1995 portant orientation de la Politique de la Santé en République Gabonaise ;
Vu le décret n°0252/PR/MSF du 18 octobre 2018 portant organisation du Ministère de la Santé ;
Le Rapporteur ayant été entendu ;
1-Considérant que par requête susvisée, Monsieur Geoffroy FOUMBOULA LIBEKA MAKOSSO, demeurant à Libreville, téléphone n°07719 3139 et Madame Justine Judith LEKOGO, demeurant à Libreville, téléphone n°074350916, ont saisi la Cour Constitutionnelle aux fins de voir celle-ci déclarer inconstitutionnel le décret n°0158/PR/MSAS du 30 juin 2022 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du Centre des Opérations d'Urgence de Santé Publique, en abrégé COUSP et annuler purement et simplement ledit décret en raison des vices de forme dont il serait entaché ;
2-Considérant que pour voir prospérer leur demande, les requérants relèvent, entre autres, l'absence dans les visas de la mention portant modification de la loi n°20/2005 du 03 janvier 2006 fixant les règles de création, d'organisation et de gestion des services de l'Etat par l'ordonnance n°025/PR/2015 du 11 août 2015 ; la violation de la loi ci-dessus citée, s'agissant de la composition d'un service public personnalisé ; le transfert au Centre des Opérations d'Urgence de Santé Publique de toutes les ressources du Comité de Pilotage du Plan de Veille et de Riposte contre l'épidémie à coronavirus au Gabon alors que la loi fixant les mesures de prévention, de lutte et de riposte contre les catastrophes sanitaires et l'arrêté instituant le Comité de Pilotage du Plan de Veille et de Riposte contre l'épidémie à coronavirus sont toujours en vigueur ; la violation des dispositions de l'article 35 de la loi n°20/2005 du 03 janvier 2006 susvisée, en ce qu'au lieu de renvoyer la création, les missions et l'organisation des services publics personnalisés à la prise d'un décret, le texte en cause prévoit en son article 6 que les attributions, l'organisation et le fonctionnement du Comité de Pilotage et du Conseil Scientifique sont fixés par arrêté du Premier Ministre, violant ainsi le principe de la hiérarchie des normes ; le conflit de compétence né de l'interprétation du décret n°0252/PR/MSF du 18 octobre 2018 portant organisation du Ministère de la Santé et de celui n°0158/PR/MSAS du 30 juin 2022 en examen ;
3-Considérant qu'au cours de l'instruction, notamment dans leurs écritures complémentaires enregistrées au Greffe de la Cour le 18 août 2022, les requérants ont soulevé deux autres moyens, à savoir la création d'un service rattaché au cabinet du Ministre de la Santé sans base légale ainsi que la création dudit service, sans avoir au préalable procédé à la reddition des comptes du Comité de Pilotage du Plan de Veille et de Riposte contre l'épidémie à coronavirus, le tout en violation des dispositions légales et des exigences des bailleurs de fonds en matière de rationalisation des dépenses ;
4-Considérant qu'en réaction à cette requête, le Ministre de la Santé soutient qu'aucun des griefs invoqués n'est constitué et sollicite, en conséquence, le rejet pur et simple de ladite requête ;
Sur les moyens nouveaux invoqués par les requérants
5-Considérant que dans leurs écritures responsives au mémoire en réplique du Ministre de la Santé, les requérants ont ajouté deux autres moyens à ceux invoqués dans leur requête initiale ;
6-Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 66 du règlement de procédure de la Cour Constitutionnelle, après enregistrement de la requête au Greffe de la Cour, il ne peut être développé des faits nouveaux, ni invoqué des moyens nouveaux autres que ceux contenu dans la requête introductive d'instance ;
7-Considérant qu'il est sans conteste que c'est après l'enregistrement de leur requête au Greffe de la Cour, la communication de celle-ci au Gouvernement et la réponse du Ministre de la Santé aux arguments y contenus que les requérants ont produit des écritures dans lesquelles ils ont développé deux autres moyens ; qu'en conséquence, en application des dispositions ci-dessus rappelées de l'article 66 du règlement de procédure de la Cour Constitutionnelle, ces moyens, qui doivent être regardés comme des moyens nouveaux, doivent être écartés des débats ;
Sur le moyen tiré de l'annulation du décret en cause pour absence dans les visas de la mention de modification d'une loi
8-Considérant que Monsieur Geoffroy LIBEKA MAKOSSO et Madame Justine Judith LEKOGO sollicitent de la Cour Constitutionnelle qu'elle annule le décret n°0158/PR/MSAS du 30 juin 2022 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du Centre des Opérations d'Urgence de Santé Publique pour absence dans les visas dudit texte de la mention de la loi modifiant la loi n°20/2005 du 03 janvier 2006 fixant les règles de création, d'organisation et de gestion des services de l'Etat ;
9-Considérant que dans son mémoire en réplique enregistré au Greffe de la Cour le 08 août 2022, le Ministre de la Santé fait valoir que, relativement aux vices de forme entachant ledit décret, s'agissant de l'absence de la mention portant modification de la loi n°20/2005 du 03 janvier 2006 par l'ordonnance n°025/PR/2015 du 11 août 2015, cette mention ne s'écrit pas nécessairement et que les modifications d'un texte après sa publication s'entendent de la mention suivante dans le visa : « ensemble les textes modificatifs subséquents. » ; que telle qu'elle figure dans le décret querellé, ladite mention a vocation à prendre en compte toutes les modifications a postériori du texte initial ;
10-Considérant qu'il ressort de la lecture du décret attaqué que le visa incriminé est ainsi rédigé : « Vu la loi n°20/2005 du 03 janvier 2006 fixant les règles de création, d'organisation et de gestion des services de l'Etat, ensemble les textes modificatifs subséquents ; » ; que la référence à tous les textes modificatifs qui ont pu être pris depuis la promulgation de la loi précitée, parmi lesquels l'ordonnance n°025/PR/2015 du 11 août 2015 portant modification de l'article 35 de la loi n°20/2005 du 03 janvier 2006 fixant les règles de création, d'organisation et de gestion des services de l'Etat, suffit à faire comprendre à celui qui veut se prévaloir de la loi initiale que celle-ci a subi des modifications ; qu'il suit de là que le moyen invoqué n'est pas pertinent ;
Sur le moyen tiré de la violation de la loi n°20/2005 du 03 janvier 2006 fixant les règles de création, d'organisation et de gestion des services de l'Etat, modifiée, susvisée
11-Considérant que Monsieur Geoffroy FOUMBOULA LIBEKA MAKOSSO et Madame Justine Judith LEKOGO font grief au décret en cause d'avoir créé un service public personnalisé dont la composition ne respecte pas les dispositions de l'article 35 nouveau de la loi n°20/2005 du 03 janvier 2006 fixant les règles de création, d'organisation et de gestion des services de l'Etat, modifiée, susvisée, selon lesquelles un service public personnalisé comprend notamment un organe délibérant, un organe d'exécution et un poste comptable ; qu'au contraire de cela, le Centre des Opérations d'Urgence de Santé Publique, en abrégé COUSP, comprend le Comité de Pilotage, le Conseil Scientifique et la Coordination Technique Nationale ; qu'ils expliquent, à cet effet, que si l'organe délibérant, l'organe d'exécution et le poste comptable, qui composent un service public personnalisé, peuvent respectivement être assimilables au Comité de Pilotage et à la Coordination Technique Nationale, lesquels organes font partie de la composition du COUSP, ils ne savent pas, en revanche, à quoi peut être assimilé le Conseil Scientifique prévu par les dispositions de l'article 6 du décret attaqué ;
12-Considérant que les requérants terminent, sur ce grief relatif à la violation des dispositions de l'article 35 nouveau de la loi n°20/2005 du 03 janvier 2005, modifiée, susvisée, en relevant qu'alors que le dernier alinéa dudit article édicté que la création, les missions et l'organisation des services publics personnalisés sont fixées par décret, l'article 6 in fine du décret en examen stipule que les attributions, l'organisation et le fonctionnement du Centre de Pilotage et du Conseil Scientifique sont fixés par arrêté du Premier Ministre ;
13-Considérant que le Ministre de la Santé, par rapport à la violation des dispositions de l'article 35 nouveau de la loi n°20/2005 du 3 janvier 2006 fixant les règles de création, d'organisation et de gestion des services de l'Etat, explique que tel que stipulé à l'article 3 du décret en cause, le Centre des Opérations d'Urgence de Santé est un service rattaché au Cabinet du Ministre de la Santé et non un service public personnalisé ; qu'en fixant sa composition, l'article 6 du même décret ne contrevient pas aux dispositions de l'article 35 nouveau de la loi n°20/2005 susvisée, lesquelles ne concernent que les services publics personnalisés ; qu'il conclut que les actes réglementaires régissant la création, les attributions et l'organisation de ces deux types d'organes ne peuvent qu'être différents ;
14-Considérant que l'alinéa 1er de l'article 35 nouveau de la loi n°20/2005 susvisée, définit les services publics personnalisés de l'Etat comme étant ceux qui, outre assurent une mission de service public, mais aussi et surtout jouissent d'une personnalité juridique distincte de celle de l'Etat ; qu'en son alinéa 4, ledit article 35 indique la composition d'un service public personnalisé de l'Etat tel que ci-avant rappelé ; qu'en revanche, aux termes des dispositions de l'article 3 du décret attaqué, le Centre des Opérations d'Urgence de Santé Publique est un service rattaché au cabinet du Ministre de la Santé ; qu'il s'ensuit que le COUSP n'est pas un service personnalisé de l'Etat ; que dès lors, sa composition et les normes qui fixent sa création, ses missions et son organisation ne peuvent pas être les mêmes que celles prévues par l'article 35 nouveau de la loi n°20/2005 du 03 janvier 2006, modifiée, susvisée ; que le moyen invoqué ne peut prospérer ;
Sur le moyen tiré du transfert des ressources du Comité de Pilotage du Plan de Veille et de Riposte contre l'épidémie à Coronavirus au Centre des Opérations d'Urgence de Santé Publique
15-Considérant que les requérants fustigent le transfert, par les articles 13 et 14 du décret en cause, de toutes les ressources du Comité de Pilotage du Plan de Veille et de Riposte contre l'épidémie à Coronavirus au Gabon, en abrégé COPIL, au Centre des Opérations d'Urgence de Santé Publique, alors, d'une part, que le budget de fonctionnement du COPIL est inscrit dans la loi de finances rectificative de 2022, le COUSP n'y étant pas répertorié et, d'autre part, que la loi régissant les urgences sanitaires en République Gabonaise ainsi que l'arrêté du Premier Ministre instituant le COPIL sont toujours en vigueur ; qu'ils concluent qu'en prescrivant le transfert des ressources dans ces conditions, les dispositions des articles 13 et 14 du décret attaqué violent le principe de la hiérarchie des normes ;
16-Considérant que le Ministre de la Santé réplique, sur ce point, que le transfert opéré à l'article 14 du décret attaqué, vise une mutualisation des ressources acquises par le Gouvernement pendant la COVID-19, celles-ci pouvant ainsi également servir dans la riposte de toute autre urgence de santé publique ;
17-Considérant qu'il est constant que l’article 13 du décret en cause détermine ce qui constitue les ressources financières du COUSP, tandis que l'article 14 du même texte prescrit le transfert à cet organe de l'ensemble des équipements et logistiques acquis dans le cadre des activités du COPIL ; qu'il suit de là que ce ne sont pas les ressources financières prévues dans la loi de finances rectificative de 2022 au profit du COPIL qui ont été transférées par le décret querellé au COUSP ; qu'il n'y a donc pas violation du principe de la hiérarchie des normes ; qu'en outre, il est établi que le COPIL a été créé par arrêté n°00008/PM du 25 février 2020, norme inférieure au décret ; qu'en conséquence, le transfert des équipements et logistiques du COPIL au COUSP, opéré par le décret critiqué, ne viole pas non plus le principe de la hiérarchie des normes ; que le moyen n'est donc pas fondé ;
Sur le moyen tiré du conflit de compétences entre le décret portant organisation du Ministère de la Santé et celui en examen
18-Considérant que Monsieur Geoffroy FOUMBOULA LIBEKA MAKOSSO et Madame Justine Judith LEKOGO critiquent le fait que par le décret n°0158/PR/MSAS du 30 juin 2022 en cause le Ministre de la Santé vient rajouter aux organes déjà créés par le décret n°0252/PR/MSF du 18 octobre 2018 portant organisation du Ministère de la Santé, sept unités devant jouer les mêmes rôles que les établissements sous tutelle y compris les neuf antennes provinciales, étant entendu que chaque Province dispose d'une Direction Régionale de Santé et de plusieurs Directions Départementales de Santé ; que de leur point de vue, il paraît clairement que le fonctionnement du COUSP est en violation des dispositions organisant le Ministère de la Santé, outre que ses nouvelles unités génèrent des dépenses supplémentaires à l'Etat et en même temps affaiblissent les structures sanitaires existantes, dans la mesure où les agents du COUSP sont choisis parmi le personnel de santé disponible et parmi les scientifiques affectés dans les différents laboratoires et centres de recherche ; qu'ils en déduisent que le décret en examen doit être déclaré inconstitutionnel sur cette base ;
19-Considérant que le Ministre de la Santé oppose à cet argumentaire que conformément aux dispositions de l'ordonnance n°1/95 du 14 janvier 1995 portant orientation de la Politique de la Santé en République Gabonaise, le Ministère de la Santé demeure le coordonnateur de la politique de la Santé sur toute l'étendue du territoire national et le COUSP, un service du Ministère de la Santé, rattaché au cabinet du Ministre, lequel service est chargé notamment de la coordination de la gestion des urgences de santé publique, quel qu'en soit l'origine, conformément aux dispositions de l'article 4 du décret querellé ;
20-Considérant qu'il est acquis aux débats que le texte qui organise le Ministère de la Santé est un décret ; que c'est également par un décret que le COUSP, qui s'ajoute aux autres services rattachés au cabinet du Ministre de la Santé, a été créé ; que s'agissant des textes d'égale valeur, le fait pour le nouveau de prévoir d'autres organes en plus de ceux existant dans l'ancien texte ne saurait être regardé comme constitutif d'une inconstitutionnalité ; qu'au demeurant, la Cour Constitutionnelle ne peut apprécier l'opportunité de la création par le Gouvernement de nouveaux services, cela lui étant interdit par les dispositions de l'alinéa 3 de l'article 40 de sa loi organique selon lesquelles la Cour Constitutionnelle statue en constitutionnalité et non point en opportunité ; que ce moyen est inopérant ;
21-Considérant qu'aucun des moyens soulevés par Monsieur Geoffroy FOUMBOULA LIBEKA MAKOSSO et Madame Justine Judith LEKOGO n'ayant prospéré, leur requête doit être rejetée.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Monsieur Geoffroy FOUMBOULA LIBEKA MAKOSSO et Madame Justine Judith LEKOGO est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée aux requérants, au Président de la République, au Premier Ministre, au Président du Sénat, au Président de l’Assemblée Nationale, communiquée au Ministre de la Santé et publiée au Journal Officiel de la République Gabonaise ou dans un journal d'annonces légales.
Ainsi délibéré et décidé par la Cour Constitutionnelle en sa séance du dix-neuf août deux mille vingt-deux où siégeaient :
-MadameMarie Madeleine MBORANTSUO, Président ;
-Madame Louise ANGUE,
-Monsieur Christian BIGNOUMBA FERNANDES,
-Madame Lucie AKALANE,
-Madame Afriquita Dolorès AGONDJO ép. BANYENA,
-Monsieur Edouard OGANDAGA,
-Monsieur Sosthène MOMBOUA, membres, assistés de Maître Nosthène NGUINDA, Greffier en Chef.