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JOURNAL OFFICIEL N°77 DU 1 AOûT 2020

Décision N° 027/CC du 25/06/2020 relative à la requête présentée par le Président de la Commission Nationale de Lutte contre l'Enrichissement Illicite aux fins de constatation et de règlement du conflit d'attribution opposant cette institution à la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption


AU NOM DU PEUPLE GABONAIS ;
LA COUR CONSTITUTIONNELLE ;


Vu la requête enregistrée au Greffe de la Cour le 26 mai 2020, sous le n°021/GCC, par laquelle le Président de la Commission Nationale de Lutte contre l'Enrichissement Illicite a saisi la Cour Constitutionnelle aux fins de constatation et de règlement du conflit d'attribution opposant cette institution à la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption ;
Vu la Constitution ;
Vu la loi organique n°9/91 du 26 septembre 1991 sur la Cour Constitutionnelle, modifiée par la loi organique n°004/2018 du 30 juillet 2018 ;
Vu la Convention des Nations Unies contre la Corruption ;
Vu la Convention de l'Union Africaine sur la prévention et la lutte contre la Corruption ;
Vu le règlement de procédure de la Cour Constitutionnelle n°035/CC/06 du 10 novembre 2006, modifié par le règlement de procédure de la Cour Constitutionnelle n°047/CC/2018 du 20 juillet 2018 ;
Vu la loi n°002/2003 du 07 mai 2003 instituant un régime de prévention et de répression de l'enrichissement illicite en République Gabonaise ;
Vu la loi n°003/2003 du 07 mai 2003 portant création, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale de Lutte contre l'Enrichissement Illicite ;
Vu le décret n°00262/PR/MPBGLCCEPP du 02 décembre 2019 portant création et organisation de la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption ;

Le Rapporteur ayant été entendu ;

1-Considérant que par requête susvisée, le Président de la Commission Nationale de Lutte contre l'Enrichissement Illicite a saisi la Cour Constitutionnelle aux fins de constatation et de règlement du conflit d'attribution opposant cette institution à la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption ;


2-Considérant qu'il explique que le 02 décembre 2019, procédant à la structuration du Ministère de la Promotion de la Bonne Gouvernance, de la Lutte contre la Corruption et de l'Evaluation des Politiques Publiques, département Ministériel issu du dernier remaniement, le Gouvernement a pris en Conseil des Ministres le décret n°00262/PR/MPBGLCCEPP portant création et organisation de la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption ; que cependant, avant l'adoption dudit décret en Conseil des Ministres, le Ministre concerné avait sollicité l'avis de la Commission Nationale de Lutte Contre l'Enrichissement Illicite ; que celle-ci, en réponse par lettre n°051/CNLCEI/CAB-P en date du 7 août 2019, n'avait pas manqué d'attirer son attention sur les risques de conflit de compétence inhérent à ce projet de décret avec les dispositions de la loi n°003/2003 du 07 mai 2003 portant création, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale de Lutte Contre l'Enrichissement Illicite ;

3-Considérant, à cet effet, que le requérant relève pour le déplorer que nonobstant l'avis de la Commission Nationale de Lutte Contre l'Enrichissement Illicite sur le projet de décret portant création de la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption, celui-ci a été adopté, créant ainsi des chevauchements et empiètements sur certaines compétences de la Commission Nationale de Lutte Contre l'Enrichissement Illicite ;

4-Considérant que pour illustrer ses allégations, le Président de la Commission Nationale de Lutte Contre l'Enrichissement Illicite fait valoir que les dispositions des tirets 1, 3, 9 et 10 de l'article 2 du décret n°00262/PR/MPBGLCCEPP du 02 décembre 2019 sont identiques à celles des tirets 5, 6, 8 et 10 de l'article 4 de la loi n°003/2003 du 7 mai 2003, susvisée, toute chose qui, selon lui, constitue un conflit d'attribution à soumettre à la Haute Juridiction pour règlement ;

5-Considérant que lors de l'instruction, il a réitéré les termes de sa requête, non sans préciser qu'en vertu des dispositions de l'article 2 de la loi n°002/2003 du 07 mai 2003 instituant un régime de prévention et de répression de l'enrichissement illicite en République Gabonaise, l'enrichissement illicite intègre dans son champ d'application la corruption ; qu'en outre, il a ajouté que sur le fondement des conventions des Nations Unies sur la Corruption et de l'Union Africaine sur la prévention et la lutte contre la Corruption, du reste signées et ratifiées par la République Gabonaise, la Commission Nationale de Lutte Contre l'Enrichissement Illicite est le seul organe reconnu aussi bien sur le plan national qu'international en charge des questions d'enrichissement illicite et de corruption ;

6-Considérant qu'également entendu, le Ministre de la Promotion de la Bonne Gouvernance, de la Lutte contre la Corruption et de l'Evaluation des Politiques Publiques a fait valoir que contrairement aux affirmations du requérant, la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption est un organe complémentaire et non concurrent, en ce sens que celui-ci, sous l'impulsion du Ministère concerné, a pour vocation, non seulement de définir les grandes orientations et stratégies de la lutte contre la corruption, de promouvoir les politiques publiques en matière de lutte contre la corruption, mais également d'en assurer la mise en oeuvre ;


7-Considérant qu'il a ajouté que la lutte contre la corruption ayant un caractère transnational, les conventions internationales ratifiées par la République Gabonaise permettent à chaque Etat partie de créer un ou plusieurs organes en charge de prévenir la corruption ; que selon lui, telle est la tendance dans bien de pays où l'on tend même à créer des structures décentralisées en charge de la lutte contre la corruption ; que c'est dans ce contexte, a-t-il indiqué, que le Gouvernement a créé la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption ; qu'enfin, il a soutenu que le décret n°00262/PR/MPBGLCCEPP du 02 décembre 2019 n'accorde pas à la Direction Générale de la Lutte Contre la Corruption des attributions identiques à celles que la loi n°003/2003 du 7 mai 2003, susvisée, donne à la Commission Nationale de Lutte Contre l'Enrichissement Illicite ; qu'il a conclu la Direction Générale de la Lutte Contre la Corruption des attributions identiques à celles que la loi n°003/2003 du 7 mai 2003, susvisée, donne à la Commission Nationale de Lutte Contre l'Enrichissement Illicite ; qu'il a conclu que la seule similitude de compétence entre la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption et la Commission Nationale de Lutte Contre l'Enrichissement Illicite porte sur l'organisation des séminaires et conférences relatifs à la prévention de la corruption;


8-Considérant que l'article 2 du décret n°00262/PR/MPBGLCCEPP du 02 décembre 2019, susvisé, édicte : « La Direction Générale de la Lutte contre la Corruption assure la mise en oeuvre de la politique du Gouvernement en matière de lutte contre la corruption. A ce titre, elle est notamment chargée de proposer les stratégies de lutte contre la corruption ; de contrôler, suivre et évaluer les programmes de lutte contre la corruption ; de définir les outils de surveillance, de prévoyance et de lutte contre la corruption, en collaboration avec les autres administrations compétentes ; de participer à l'élaboration du budget de la Direction Générale et d'en suivre l'exécution ; de veiller au respect et à l'application des lois et règlements en matière d'éthique et de déontologie dans les services publics ; d'élaborer des projets visant à améliorer la transparence et l'équité dans la gestion des affaires publiques ; de participer aux travaux des organismes sous régionaux et internationaux traitant des questions de lutte contre la corruption, en collaboration avec les autres administrations compétentes ; d'élaborer et proposer la règlementation, les directives et instructions utiles à la mise en oeuvre et à l'exécution de la politique de lutte contre la corruption ; d'organiser des séminaires et des conférences de sensibilisation relatifs à la prévention de la corruption ; de formuler des recommandations destinées aux organismes ou à toute personne du secteur public ou privé sur toute mesure visant à favoriser la prévention et la lutte contre la corruption. » ;


9-Considérant que l'article 4 de la loi n°003/2003 du 07 mai 2003, susvisée, dispose, pour sa part : « La Commission Nationale de Lutte Contre l'Enrichissement Illicite est spécialisée dans la prévention et la constatation des faits d'enrichissement illicite. A ce titre, elle a notamment pour missions de centraliser des informations nécessaires pour prévenir les pratiques d'enrichissement illicite ; de détecter et de faire prendre des mesures conservatoires ; de faire réprimer l'enrichissement illicite et les pratiques d'enrichissement illicite ; de collecter et de conserver les déclarations de fortunes des agents visés à l'article 21 ci-dessus ; de susciter et de promouvoir au sein des institutions et des organismes publics ou parapublics des mécanismes destinés à prévenir, détecter et faire réprimer l'enrichissement illicite ; d'évaluer périodiquement l'impact des stratégies et les performances atteintes ; de procéder à toute enquête utile portant sur des faits d'enrichissement illicite ou de conflit d'intérêts et de tout autre pratique d'enrichissement illicite ; d'organiser des séminaires et conférences sur des questions touchant à l'enrichissement illicite ; de donner son avis sur tout projet de texte concernant les questions touchant à l'enrichissement illicite, aux conflits d'intérêts, à la rémunération des fonctionnaires, au mode de perception des impôts et taxes, aux marchés publics ainsi qu'aux règles éthiques concernant la fonction publique ou le secteur parapublic ; de donner son avis sur toute question d'enrichissement illicite, de conflit d'intérêts ou toute autre question relevant de sa compétence. » ;


10-Considérant qu'il ressort de l'analyse des articles 4 de la loi n°003/2003 du 07 mai 2003 et 2 du décret n°00262/PR/MPBGLCCEPP du 02 décembre 2019, susvisés, que premièrement, dans le domaine de la prévention de lutte contre la corruption, la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption a pour mission de proposer les stratégies de lutte contre la corruption, de définir les outils de prévoyance contre la corruption ;
que cette même compétence est dévolue par la loi à la Commission Nationale de Lutte contre l'Enrichissement Illicite, en ce que celle-ci a également pour attributions de centraliser des informations nécessaires pour prévenir les pratiques d'enrichissement illicite, de susciter et de promouvoir au sein des institutions des mécanismes destinés à prévenir et détecter l'enrichissement illicite ; que deuxièmement, en ce qui concerne le fonctionnement de chacun de ces organes, il y a lieu de relever qu'aussi bien la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption que la Commission Nationale de Lutte contre l'Enrichissement illicite ont toutes deux compétence pour organiser les séminaires, en même temps qu'ils se partagent dorénavant celle relative à l'évaluation des programmes de lutte contre la corruption ; que, troisièmement, s'agissant des compétences consultatives, il apparait clairement que ces deux entités ont des compétences similaires leur conférant la possibilité de donner des avis ou faire des recommandations sur toute question touchant à la corruption ou à l'enrichissement illicite ;


11-Considérant qu'en dehors des similitudes non exhaustives ci-dessus relevées dans les compétences attribuées concurremment à la Commission Nationale de Lutte contre l'Enrichissement Illicite et à la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption, il appert de l'instruction que cette Direction Générale, en tant qu'elle n'est pas rattachée formellement au Ministère de la Promotion de la Bonne Gouvernance, de la Lutte contre la Corruption et de l'Evaluation des Politiques Publiques, se présente comme un organe autonome qui, lui aussi, est chargé par un décret, et non pas par une loi, des questions concernant la prévention et la lutte contre l'enrichissement illicite ;


12-Considérant que les développements ci-dessus établissent qu'il y a conflit d'attribution entre la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption et la Commission Nationale de Lutte contre l'Enrichissement Illicite qui est pourtant la seule institution à laquelle la loi a attribué compétence pour connaître de toutes les questions relatives à la prévention et à la lutte contre l'enrichissement illicite et la corruption ; que pour y remédier, les dispositions du décret n°00262/PR/MPBGLCCEPP du 02 décembre 2019, susvisées, créant ce conflit, doivent être retirées dudit texte ;


13-Considérant qu'en application des dispositions de l'article 65, alinéa 3 de la loi organique sur la Cour Constitutionnelle, le Gouvernement est tenu de remédier à la situation juridique qui découle de la présente décision.


D E C I D E :


Article 1er : Les dispositions du décretn°00262/PR/MPBGLCCEPP du 02 décembre 2019 portant création et organisation de la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption et celles de la loi n°003/2003 du 07 mai 2003 portant création, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale de Lutte contre l'Enrichissement Illicite révèlent un conflit d'attribution entre la Commission Nationale de Lutte Contre l'Enrichissement Illicite et la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption.


Article 2 : En conséquence, pour mettre un terme à ce conflit d'attribution, toutes les compétences dévolues par la loi n°003/2003 du 07 mai 2003 susvisée à la Commission Nationale de Lutte Contre l'Enrichissement Illicite, relatives à la prévention et à la lutte contre l'enrichissement illicite et la corruption et que le décret n°00262/PR/MPBGLCCEPP du 02 décembre 2019 ci-dessus référencé attribue malencontreusement à la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption, doivent être retirées dudit décret, et, partant, de ladite Direction Générale.


Article 3 : Le Gouvernement doit remédier à la situation juridique qui découle de la présente décision.


Article 4 : La présente décision sera notifiée aux parties, au Président de la République, au Premier Ministre, au Président du Sénat, au Président de l'Assemblée Nationale, communiquée au Ministre des Relations avec les Institutions Constitutionnelles et les Autorités Administratives Indépendantes et publiée au Journal Officiel de la République Gabonaise ou dans un journal d'annonces légales.

Ainsi délibéré et décidé par la Cour Constitutionnelle en sa séance du vingt-cinq juin deux mille vingt où siégeaient :
-Madame Marie Madeleine MBORANTSUO, Président ;
-Monsieur Hervé MOUTSINGA,
-Madame Louise ANGUE,
-Monsieur Christian BIGNOUMBA FERNANDES,
-Madame Lucie AKALANE,
-Monsieur Jacques LEBAMA,
-Madame Afriquita Dolorès AGONDJO ép. BANYENA,
-Monsieur Edouard OGANDAGA,
-Monsieur Sosthène MOMBOUA, membres ; assistés de Maître Nosthène NGUINDA, Greffier en Chef.

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